Le timing d’un tour est la base même d’une bonne gestion du détournement d’attention.
Dans la notion de timing, il y a tout d’abord la notion de respiration. En effet chacun, en fonction du rythme de ses pulsations cardiaques donne un timing particulier au tour qu’il interprète. Mais, pour ma part, je recherche davantage à trouver la respiration du tour que « d’imposer » ma propre respiration au tour, car c’est la meilleure façon de le faire exister dans l’espace. Pour moi, c’est le tour qui doit trouver sa place en nous, et non l’inverse. On doit se mettre à sa disposition. C’est-à-dire oublier sa propre personne pour donner toute sa liberté d’expression et sa puissance au tour. Pour ça, j’aime bien utiliser la musique : je mets la musique à fond, je m’immerge complètement dedans et cela me permet de trouver cet état d’éveil particulier qui me donne accès au tempo du tour en lui-même. Grâce à la musique, c’est un peu comme si je retrouvais le langage profond du tour. Mes gestes deviennent non plus MES gestes, mais CEUX du tour en quelque sorte… Et c’est ainsi que, petit à petit, le tour acquiert ce timing qui lui est propre et qui permet des misdirections complètement inenvisageables autrement.
La parole, quant à elle, est souvent perturbatrice pour obtenir un bon détournement d’attention. Cela peut sembler étonnant, mais le phénomène est pourtant facile à constater. Je pense que cela vient du fait que les gens sont tellement habitués à se faire » enfumer » avec de beaux discours (politique, marketing…) qu’ils sont devenus particulièrement vigilants… Dès que le magicien parle, le public a tendance à devenir méfiant, soupçonneux… C’est pourquoi je crois que plus on est muet et plus on peut détourner l’attention ! Car quand l’utilisation de la parole n’est pas en jeu, le spectateur croit maîtriser tout ou presque. Il pense se faire une opinion sur ce qu’il voit, sans craindre d’être détourné par des mots chocs ou dirigés de façon à le déstabiliser. Si vous prenez au sérieux cette pensée active, vous devriez pouvoir détourner l’attention avec une liberté inattendue !
De toute façon, au-delà du timing du tour ou de l’économie de mots, le détournement d’attention dépend beaucoup de la façon dont vous « en imposez » vis-à-vis du public. Quand vous avez réussi à donner le ton de votre personnalité, tout ou presque devient possible. Je veux dire qu’en principe le spectateur – si on considère pour un instant que le spectacle est un combat et non un divertissement – a déjà perdu la manche et le même match avant même que le spectacle ou votre numéro commence. Pourquoi ? Parce qu’il vous regarde et veut voir de la magie. A cet instant vous pouvez tout et lui ne peut que s’abandonner à vous. Parfois il pensera être le plus fort mais c’est totalement faux. C’est de vous que tout partira et aboutira. C’est vous le patron à 100%. ! vous pourrez donner, reprendre de l’espace, imposer un lieu, l’inverser… Tout devient possible. La magie est là, presque davantage que dans les techniques magiques que vous utilisez.
Mais cette apparente simplicité du « naturel » est tout sauf naturelle. C’est au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, un travail titanesque : tout doit être disséqué en amont. Chaque geste – et surtout celui qui semble le plus anodin – doit être réfléchi pour servir le détournement d’attention. C’est un vrai secret que je livre ici. Une notion difficile à mettre en œuvre, mais incroyablement puissante, si on veut la considérer avec intérêt. Tout doit être calculé et modelé pour devenir une seconde nature, sinon le spectateur sentira que ce qui se passe n’est pas naturel. Comme, par définition, nos mouvements ne sont pas souvent naturels (utilisation de techniques de magie), il faut impérativement tout restructurer pour donner un naturel profond à chaque action, parole, geste, comportement, rire… afin que tout soit en adéquation avec le but recherché : créer des miracles.
Pour gagner en efficacité au niveau de vos détournements d’attention, il faut surtout sentir et comprendre ce que l’on cherche. Si vous regardez vos prouesses ou que vous avez peur d’être démasqué dans vos misdirections, vous faites fausse route. Il faut trouver le « naturel » de vos mouvements ou fabriquer de toute pièce des mouvements pour qu’ils deviennent tout simplement… vous ! Par exemple au quotidien, quand vous empalmez une pièce tout étant au volant de votre véhicule, non seulement vous habituez votre main à vivre avec une pièce dans des situations nouvelles, mais surtout vous habituez votre corps à ne plus faire cas d’un objet étranger dans votre main. Personne ne pourrait supposer que vous tenez une pièce dans votre main, n’est-ce-pas ? Ou alors c’est que vous n’avez pas assez travaillé dans ce sens…
Lu dans le super bouquin « Carnet de voyages » de Clélia Ventura, qui cite son père Lino :
« Tout l’art du cinéma consiste à être très soi-même. Jean Gabin me disait : « Tu sais, dans le fond le plus dur c’est d’être ce que l’on est ; alors, laisse-toi aller ! »
« Passer pour un ours, à certains moments, ça n’est pas si mal car, comme ça, on vous fout la paix. Et puis il faut bien dire la vérité, j’en remets un petit peu quand ça m’arrange… »
Merci Clélia !