Cette interview a été réalisée par Dorian Chauvet, grand neurochirurgien, dans le cadre de son livre sur « La main intelligente », qui recueille le témoignage écrit de nombreux artistes, artisans et professionnels divers se servant de leurs mains. Notamment un cuisinier (Thierry Marx), un pianiste (Alexandre Tharaud) mais aussi plusieurs Meilleurs Ouvriers de France : graveur, verrier, calligraphiste, un coutelier…
Et est-ce que les mains font des gestes que les spectateurs ne voient pas ? Mes dernières recherches depuis deux-trois ans m’ont amené à la constatation suivante : la meilleure façon de cacher quelque chose, c’est de le montrer. Il m’a fallu du temps pour en arriver là. Par exemple dans notre spectacle Signatures, je montre aux spectateurs la technique du lapping sous forme d’un running gag. En feignant de ne pas vouloir faire un tour imposé par ma fille, je fais disparaître plusieurs fois le jeu de cartes. Mais à chaque fois je dis « vous n’avez pas vu que j’ai fait tomber le jeu de cartes sur mes genoux ? Non... ? Le problème après, c’est qu’il faut les ramasser et ça c’est le plus chiant ». Pour certains magiciens, en faisant cela je révèle la technique secrète du lapping. Moi je préfère la montrer. Un de mes principes fétiches en magie, c’est « Démystifier pour mieux mystifier ». Je n’ai pas envie que pendant une fraction de seconde les spectateurs se disent que j’ai fait disparaître un objet et que la seconde d’après ils se penchent pour voir où l’objet est tombé. Ça reviendrait à les faire rêver uniquement une à deux secondes… Moi je préfère leur montrer le truc, histoire de leur montrer que la magie est ailleurs. Un peu comme une recette de cuisine : pour faire des madeleines, il faut de la farine, du sucre, du beurre etc. mais la magie d’une bonne madeleine est ailleurs… Là, dans mon spectacle, je montre la « recette » de mon tour avec l’idée suivante : « Maintenant que vous savez comment ça marche, à vous de bien regarder… ». Là je reproduis dix fois de suite la même technique et les spectateurs ne voient jamais le jeu tomber. Les spectateurs n’ont donc plus à se préoccuper de savoir « comment ça marche ». Il ne leur reste plus qu’à vivre l’effet de base qui est la disparition magique d’un objet, en majeure partie produite par mes mains.
