L’âme de débutant
En magie, le confort est un mot horrible pour moi. Je déteste ce mot. Un spectacle est une création énorme à réaliser. Une fois le spectacle écrit, je dois l’interpréter. Mais dès que je me sens trop à l’aise dans cette interprétation, comme je ne prends plus aucun risque, je n’aime plus trop jouer ce spectacle…donc je passe à un autre ! J’aime qu’il subsiste toujours un certain danger pour donner en direct ce que je crois devoir donner dans un spectacle vivant. Quand je sens un certain confort dans mon jeu, je préfère abandonner, au moins temporairement, le show, en jouer un autre puis revenir au précédent le cas échéant pour retrouver le vrai frisson.
D’une certaine manière, j’adore me retrouver devant la fameuse page blanche : ne rien avoir devant moi et me retrouver obligé d’aller de l’avant, en inventant de nouvelles choses ! Cette angoisse est libératrice en fait : c’est une façon de récupérer cette âme de débutant qui est tellement galvanisante ! Dès que j’ai le sentiment de perdre en chemin cette fraîcheur, je remue ciel et terre pour la retrouver. Je casse tout ou presque et je recommence comme si c’était le premier soir… En fait j’adore avoir du pain sur la planche. J’ai la hantise du spectacle bien rodé, qui avance tout seul et dans lequel on n’est plus impliqué dans les pourquoi telle ou telle chose fonctionne. Vous voyez ?
Mais il est vrai que ma démarche est tordue : je me bats corps et âme pour monter un spectacle, le rendre le plus parfait possible, pour qu’au bout du compte, je le lâche une fois qu’il « roule »… ça paraît absurde. Pourtant, c’est vraiment cette phase d’écriture qui me comble le plus. Le fait même de chercher est un souci profond, mêlé d’un bonheur incommensurable. Je crois que ce principe est valable d’ailleurs dans tous les domaines de la création…
J’envie les artistes qui montent un numéro ou un spectacle dont ils se satisfont toute leur vie. Ils se sentent en harmonie de cette manière, tant mieux ! Mais je n’arrive pas à fonctionner de la même façon. Pour moi l’harmonie est dans la recherche du nouveau concept, du nouveau spectacle etc. Et lorsque je l’ai trouvé, j’en cherche de nouveaux. Entre chaque période je me pose des milliers de questions contradictoires, mais c’est ma vie, mon mode de fonctionnement. Chacun porte sa croix. Certains envient mon « problème », d’autres me prennent pour un dingue. D’autres encore se demandent ce que je cherche à prouver avec cette attitude. La réalité est que je ne fais rien d’autre que d’assumer mon état boulimique. Du mieux que je le peux.
Photo @jeanmariemarion