Dans les débuts un « vrai » secret ne peut réellement se donner. En effet pour un élève qui débute, tout est notion de secret, même lorsqu’il s’agit d’un principe basique. Il étudie et donc il est à la recherche d’informations multiples, c’est tout. Pouvoir donner un réel secret à un élève va dépendre ensuite de son aptitude à le recevoir. Il faut donc noter qu’un secret n’existe pas en soi, il n’existe que dans le rapport de deux personnes : celle qui va donner le secret et celle qui va savoir le recevoir comme tel.
D’ailleurs, certains pensent qu’il n’existe pas du tout de secrets. A ceux-là je m’arrange toujours pour leur faire penser qu’ils ont raison… Dans le domaine, moins on est de fous et plus on rit, non ? C’est assez amusant de noter que ce sont toujours ceux qui ne possèdent pas de secrets qui veulent absolument prouver qu’il n’en existe pas… Et dès qu’on en possède, le discours change…
Quand on écoute un spectateur parler de magie, on se rend compte que pour lui tout lui paraît relever du secret, n’est-ce pas ? Même les techniques les plus élémentaires, reconnues et tombées dans le domaine public… Tout est underground, car le spectateur croit dur comme fer que notre monde est très fermé. Notez qu’il est toujours surpris de voir qu’on puisse se procurer des bouts de secrets chez des marchands ou sur des sites de magie, voire dans des revues façon « Pif Gadget » ! On pourrait donc dire, d’une certaine façon, qu’à la base toute la magie est underground. Mais plus la magie est prisée, plus elle devient accessible aux communs des mortels et plus ces secrets semblent s’amoindrir. Prenons un exemple simple : le comptage Elmsley. Il n’y a encore pas si longtemps, il était considéré comme un secret. Je veux dire que toute technique peut devenir un classique, tôt ou tard. Un principe inconnu pendant quelques années, peut devenir très vite un secret de polichinelle. Je pense que beaucoup de principes sont victimes du temps, et c’est une bonne chose. Avec tout ce qu’on peut trouver aujourd’hui à disposition sur youtube par exemple, on se dit : mais où sont les secrets ?! Bien sûr certaines subtilités semblent encore bien protégées, mais tout paraît si facile à trouver. Pourtant, je considère que, bien au contraire de ce que l’on pourrait imaginer, jamais les « vrais » secrets n’ont été si bien conservés. En effet, comme je commençais à l’évoquer un peu plus haut : le secret est d’abord synonyme d’échange entre deux êtres. Et puis le secret est un état d’esprit particulier, qui s’apprend avec le temps. On ne naît pas avec cette notion, du moins je ne le crois pas. C’est selon l’aptitude de celui qui touche à la magie, qu’on peut lui donner des morceaux du puzzle, des pistes, des bouts de secrets…
On dit souvent à tort qu’un magicien est underground pour parler d’un magicien qui n’est pas encore connu et voudrait bien le devenir. C’est tout le contraire ! Un magicien underground, c’est plutôt quelqu’un qui est déjà connu, mais qui n’a pas envie de donner n’importe quel secret à n’importe qui. Des magiciens comme Bob Kohler, Troy Hooser, Michael Weber… sont des magiciens underground. Ils font leurs tours devant des profanes, mais évitent de montrer ces tours devant un auditoire d’initiés. S’ils doivent le faire quand même, ils s’arrangent pour ne pas expliquer leurs méthodes. Les tours qu’ils pratiquent ne sont pas des secrets de polichinelle et provoquent des troubles psychologiques certains aux magiciens qui croyaient connaître tout de la magie (rires). Pour résumer, la magie underground, la vraie, n’est qu’une partie de la magie tout court. Une partie indissociable de notre art.
Allez, encore quelques réflexions qui me viennent sur ce sujet pêle-mêle sur ce vaste sujet, intimement lié à notre cher métier…
Un vrai secret n’est jamais aussi bien gardé que lorsque deux conditions (pourtant opposées) sont réunies :
1) Vous ne montrez jamais le tour à personne.
2) Vous le faite, l’air de rien, masqué par des mouvements connus ou autres subtilités du genre…
Comment connaître des secrets underground ? En travaillant des routines assez personnelles, en toute humilité et sans relâche. Un jour un magicien vous donnera une nouvelle piste, puis une autre et petit à petit, vous entrerez dans ce cercle très fermé de la magie underground.
Si, quand nous montrons un tour, nous ne croyons pas que nous sommes quelque part un « vrai » magicien, alors on peut parler de débinage quand on ose (!!!) montrer des doubles faces à un public avide de ne pas connaître les trucs des (faux) magiciens que nous sommes… Vous voyez ce que je veux dire ? Si par contre nous considérons que nous sommes des magiciens, des vrais, l’espace de notre prestation, alors nous sommes capables de fabriquer des cartes par notre simple pouvoir de magiciens… C’est très différent. Attention je ne parle pas de ceux qui ont pété les plombs et qui se prennent pour des Dieux vivants ! La différence peut être assez subtile à comprendre, pourtant c’est une notion essentielle. Un bon magicien, pour moi, c’est quelqu’un qui croit à la vraie magie, dans une certaine mesure. C’est une évidence qui n’est pas toujours facile à capter avec notre esprit cartésien, toujours à la recherche de logique dans toutes les situations… Pourtant, le résultat est qu’aucun public du monde ne peut faire la relation entre une carte truquée (pour le magicien passéiste) et une carte qui vient de se transformer par le simple pouvoir du magicien. Ce qui explique que lorsque nous passons à un autre effet plus classique (mais utilisant des cartes doubles faces) le public ne fait jamais la relation ! A méditer, je vous assure !
Superbe article, toujours un plaisir à lire, comme d’habitude !
La notion du secret a été, est, et sera au cœur de toutes les discussions et fera couler encore beaucoup d’encre par les temps à venir (où casser beaucoup de claviers d’ordinateur, allons savoir …)
Et force est de constater que la démonstration de ce que vous avez écrit se vérifie très simplement sur le net : quantité de chaînes, de vidéos, de sites qui révèlent gratuitement telle technique, tel mouvement ou tel concept mais si tant est qu’un exécutant les utilise en les faisant disparaitre au profit du rêve et de l’émerveillement alors pouf, tout ce débinage sombre quelque part … car le débinage ne débine que la technique pure, alors que cette dernière n’est que le commencement du tout …
Quelque part les secrets, d’une certaine façon, restent à l’abri car le grand Secret, celui qui les dirige tous, ne sera jamais débiné par tous ces « magiciens » qui ne l’ont de toute façon jamais compris : la Magie ne se résume pas en une passe, mais en une infinité de choses attenantes (psychologie, comportement, émotion et autres axiomes de notre art) …
Amitiés