« Pourquoi jouer tant de notes, alors qu’il suffit de jouer les plus belles. » disait Miles Davis…
Eh oui, mais me direz-vous, lorsqu’on est seul à sa table de travail et que l’on cherche à créer des choses nouvelles, quoi de plus difficile que de savoir ce qui vaut le coup d’être gardé ou non ? Voici quelques pistes de réflexion sur le sujet…
Il se trouve que je suis un perpétuel insatisfait (comme beaucoup de chercheurs du reste, je crois). Par contre, lorsque mon choix est fait, je ne le regrette jamais. Ne voyez pas là une contradiction ou un excès de confiance en moi : c’est justement parce que je suis sans cesse en train de me remettre en question (c’est presque maladif), que je peux me permettre d’assumer pleinement mes choix. Avec le temps, j’ai mis au point des méthodes drastiques pour conserver ou extraire de mon répertoire des mouvements, des techniques, des tours, des ambiances, des scénarios… Donc, quand un tour sort de ma « phase d’investigation », il est presque toujours mûrement réfléchi. J’aime pouvoir être sûr que ce que je vais présenter tiendra plus la route qu’un film qui ne reste que 3 jours à l’affiche ! Plus on est exigeant et plus on a de chance que le tour ainsi disséqué soit meilleur qu’un truc qu’on fait juste parce qu’on en a envie tout de suite…
Bien sûr il m’arrive souvent de voir paraître des tours dont j’avais eu l’idée à une époque, mais que je n’avais pas gardés, ne les trouvant pas assez pertinents. Mais, bizarrement, cela m’importe peu, même quand ce tour s’avère être un succès commercial par exemple et que tout le monde crie au génie ! Alors on peut me prendre pour un doux dingue qui reste sur son nuage, mais ne vous fiez pas aux apparences : je suis d’une telle exigence avec moi-même, que je peux me permettre d’être inébranlable dans mes choix et ce sans regret. Il est possible que je me trompe bien sûr et je ne prétends pas détenir une quelconque vérité. Je me pose simplement comme un homme libre, qui cherche inlassablement dans ce domaine que j’ai choisi : la magie. Dans mon coin, j’avance dans le sens qui semble être le bon, à mes yeux et en toute modestie. Tant pis pour ceux qui ne le comprennent pas !
Je ne sais pas si mes méthodes de sélection sont bonnes et encore moins si elles sont bonnes pour d’autres personnes. Tout ce que je sais, c’est qu’elles me conviennent parfaitement. Ce qui est très différent. Toujours est-il que je vais tenter de vous en développer une partie ! Je ne promets pas que cela sera clair pour tous, mais on ne pourra pas dire que je n’aurai pas essayé ! Pour illustrer mon propos, je vais utiliser un tour que vous connaissez pour la plupart : « l’Imprimerie » (Printing). Si vous ne le connaissez pas encore, allez sur la chaîne « Dominique DUVIVIER » sur Youtube et vous en trouverez une vidéo. L’idée est la suivante : je vais tenter de vous décrire le cheminement qui a été le mien lorsque j’ai créé ce tour et qui m’a permis, à l’époque, de me décider à le publier.
Nous sommes dans les années 70 et je suis à mon bureau. J’ai créé les effets de ce qui sera « L’Imprimerie ». J’ai le texte. Je suis prêt quoi ! C’est souvent à ce moment-là que je commence à réfléchir pour savoir si je vais garder ou non une création dans mon patrimoine. N’oublions pas le contexte de l’époque : dans ces années, la mentalité des magiciens était très différente d’aujourd’hui et je voyais bien que ce tour que je venais de créer allait bousculer les conventions… Me voilà donc en train de faire le point : des doubles faces sont montrées au premier degré. C’est un fait. Elles resteront « truquées » à la fin du tour. C’est encore un fait indéniable. Si on réfléchit un peu, on constate que la routine est assez illogique dans sa construction. Par exemple, je montre 8 cartes, une se retourne puis j’ai toujours 8 cartes… une autre se retourne, etc… Pas très logique de montrer toujours autant de cartes alors qu’on en met sur la table sans arrêt. Et puis pourquoi n’avoir que quelques cartes dans un étui qui peut contenir un jeu entier ? On pourra penser, le tour terminé, que j’ai toujours eu des cartes truquées mais qu’avec l’aide de mouvements, j’ai pu les dissimuler… Le spectateur va-t-il donc penser qu’il n’y a pas eu de magie ? Est-ce qu’il va adhérer à mon texte farfelu ? Ne va-t-il pas penser que si je peux imprimer des cartes, pourquoi ne pas en imprimer une en partant de sa cravate… ce qui ruinerait mes effets précédents ? Pourquoi entrerait-il dans le monde que je viens d’imaginer ? Suis-je en train de débiner des trucs secrets en montrant des cartes de ce genre ? En un mot ne suis-je pas en train de me fourvoyer complètement avec ce tour ? Voici à peu près la liste des questions que je me suis posées une fois le tour créé. Pour pouvoir l’accepter dans mon patrimoine, il m’a fallu contrecarrer tous ces points litigieux. Trouver des raisons pour chaque souci que je venais d’imaginer. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, il m’a fallu trouver pour chaque problème une réponse « sans appel » pour moi et ce sans aucune complaisance. Le propos n’est pas ici de décrire chacun des arguments qui m’ont permis de croire totalement en ce tour, mais de vous permettre d’imaginer à quel point je réfléchis avant de publier un tour. Dans ces années-là, la plupart de mes confrères étaient contre l’approche de ce tour. Certains, que je ne citerai pas, m’ont même dit que je me ferai beaucoup de tort en le publiant ou en le vendant, que ce tour était anti-magique… la liste est encore très longue. Peu importe ! Il a fallu que je me sente bien moi-même et c’est ce qui s’est passé. Une fois que j’ai eu trouvé les parades à toutes mes interrogations, je n’ai plus bougé et je me suis battu pour faire connaître ce tour, malgré le tollé général (oui !). Maintenant le tour est devenu un classique et vous avez même trouvé des réponses vous-mêmes à mes interrogations de l’époque.
N’oubliez pas qu’au moment de la création personne ne pensait que le tour avait une valeur !
Juste UN jour être un neurone dans ton cerveau et après je peux mourir lol !!
Edifiant en tout cas.
Amitiés
Cavaflar.
oué, mais ce « salaud » de Miles Davis, des notes, il savait aussi en jouer tant (une pluie), et de belles à fois… 🙂