Interview réalisée en 2005 par Lionel, dit « Le Marquis »
Lionel : Revenons à votre parcours magique. Vous avez débuté il y a un certain temps. Vous avez commencé par donner des cours à des magiciens ou futurs magiciens, mais quel a été le déclencheur qui vous a donné la force de vous produire en public ?
Dominique : C’est une bonne question. C’est vrai que j’ai assez vite donné des cours. J’ai commencé la magie professionnellement en 1972. A ce moment-là, tout le monde s’accordait à dire que Bernard Bilis était le meilleur cartomane de France. Trois mois plus tard, on disait qu’il y avait deux plus grands cartomanes en France. Bernard et moi. Six mois après, on ne citait que mon nom.
Tout cela pour dire que mon ascension a été très rapide. Cela dit, je travaillais comme un forcené. Jusqu’à vingt heures par jour et parfois, je ne dormais pas du tout. C’est ma femme, qui, pendant ce temps, travaillait pour gagner l’argent du ménage car, au départ, tout ce travail ne me rapportait absolument rien.
Un moment critique dans mon couple est alors arrivé. On n’avait plus d’argent, joindre les deux bouts devenait impossible, il fallait faire quelque chose.
Comme je ne savais rien faire d’autre que de la magie, j’ai commencé, petit à petit à donner des cours payants. Cela m’a permis, par la même occasion, de prendre conscience qu’à partir du moment où ils payaient, les élèves devenaient plus sérieux et plus motivés.
Naturellement, un jour, j’ai été confronté à la question de savoir comment, moi, je m’y prenais pour présenter tel ou tel tour en public. Question fort gênante du fait que je n’avais jamais été confronté à une telle situation (rire).
Pourtant, il fallait bien que je réponde aux questions ! J’ai alors commencé à imaginer, souvent, sur le coup de l’improvisation, des situations de représentations publiques. Le comble, c’est que je me rendais compte que ce que je faisais fonctionnait sur les élèves qui me posaient ce genre de questions. Ils devenaient mon public et me permettaient à moi, sans en avoir conscience, de m’aguerrir à la confrontation publique ! Le monde à l’envers (rire) !
C’est en partie pour cela que je reprends souvent la phrase de Jerry Lewis à mon compte. Il disait plus ou moins : « Je ne sais pas si beaucoup d’élèves ont compris ce que j’enseignais, mais, il y en a un qui a compris, c’est moi. ».
Lionel : Quelle forme prenait votre magie en public ?
Dominique : Tu vas me faire tenir des propos de vieux mais force est de constater qu’au début de mes prestations publiques, c’est-à-dire dans le début des années 1970, les close-up men étaient les parents pauvres de la magie. La voie royale était la magie de scène. Il fallait voir la place réservée au close-up dans les congrès pour se rendre compte à quel point les magiciens de proximité étaient sous-estimés. Pourtant, d’un point de vue général, la magie de scène a beaucoup moins évolué que le close-up, en trente ans.
Bref, il fallait bien trouver des endroits pour se produire et nous allions dans les restaurants. On faisait donc du table en table sans s’en apercevoir puisque ce concept n’existait pas vraiment en France. Au fur et à mesure des années, le close-up a acquis ses lettres de noblesse et dans le début des années 1980, on avait des vrais contrats, extrêmement rémunérateurs d’ailleurs.
Lionel : Plus qu’aujourd’hui ?
Dominique : Sans aucune commune mesure ! Pour une prestation d’une heure trente, on touchait entre cinq et dix mille francs nets. Grâce, ou à cause, de tous les magiciens qui ont acheté trois tours qu’ils savent peu faire, mais qui sont prêts à se vendre quel que soit le prix, on en est arrivé aux montants ridicules des cachets d’aujourd’hui. Il faut dire aussi que nous étions très peu à pratiquer ce type de magie à l’époque.
Lionel : Qu’est-ce qui vous a motivé pour arrêter le table en table ?
Dominique : Je voyais plus grand. J’en ai fait beaucoup dans les années 1970-1980. Déjà dans les années 80, j’avais freiné le table en table traditionnel en étant, avec Philippe Socrate, très interpellé par les prestations pour les sociétés privées. C’était totalement nouveau à l’époque. Le but était de faire des tours ciblés en prenant en considération l’entreprise pour laquelle on travaillait. Un peu l’ancêtre du concept de Joseph, si on veut résumer, mais pour les entreprises et leur personnel et non pas pour les clients finaux.
Par exemple, quand Agfa a sorti une série de photocopieurs couleurs, j’ai fait une tournée à travers la France pour faire la promotion du produit aux acheteurs. Je présentais l’Imprimerie, avec un texte ciblé et une fin en conséquence.
J’aimais beaucoup faire ça. Cela me plaisait de trouver des biais, des directions de présentation qui permettaient aux tours que je faisais traditionnellement d’avoir une cohérence avec l’image de la société qui m’embauchait. C’était plus nourrissant, au propre comme au figuré, que le table en table traditionnel.
En parallèle, grâce à Monique Nakachian, une impresario qui pensait toujours à moi lorsqu’elle avait à organiser des événements spéciaux, je faisais des soirées dites « people » qui me permettaient de m’exprimer pendant vingt à trente minutes d’affilée. C’était bien plus jouissif pour moi que de faire mes deux tours à une table dans une ambiance de restaurant, même si c’était pour des entreprises privées.
Un jour, j’ai fait part de ma lassitude à Daniel Saint Jean, mon producteur de l’époque. J’en avais assez de voir que la magie de proximité ne se résumait qu’à quelques tours entre la poire et le dessert. Je lui ai dit texto que ce que je faisais me donnait l’impression de sympathiser avec une fille inconnue, de la charmer, de sentir qu’on en est presque au flirt et que, tout à coup, tout s’éteint et qu’il faut la quitter pour passer à autre chose en la laissant aux appétits d’autres que moi. Situation frustrante s’il en est (rire) !
Voyant que Daniel avait compris l’image, je lui ai proposé d’ouvrir un pub dans lequel on ne ferait que de la magie, et, bien entendu, il m’engagerait comme magicien attitré du pub. Le rêve quoi ! Il trouvait l’idée intéressante mais était inquiet du fait que le concept n’existait pas en France. Lui, y voyait une source d’inquiétude tandis que moi, j’y voyais une garantie de succès.
Il a préféré ne pas le faire. J’ai donc décidé de le faire moi-même. J’ai fait toutes les démarches appropriées et c’est ainsi que le Double Fond a vu le jour.
Depuis, je peux faire des spectacles d’une heure trente comme je rêvais de faire depuis bien longtemps. C’est la magie qui est au centre des préoccupations des spectateurs et non pas leur assiette.