Loïc Jaisson m’a fait part de quelques remarques et m’a posé quelques questions au sujet de mon coffret de DVD « Intimiste 2 », qui sont particulièrement intéressantes et profondes, cela se note ! Attention, je vous préviens, chers lecteurs, c’est plutôt pointu…
« 1. Vous dites que le premier effet n’arrive que vers 6minutes 30 [dans le spectacle « Intimiste 2 »]. Or il y a quand même un premier effet, certes en vidéo, mais où vous réalisez, sous forme de gag, un effet avec des cartes. Comment cette idée vous est venue ? Et pourquoi avoir choisi cette solution ? »
Difficile de répondre… Disons que j’ai juste aimé l’idée de commencer un spectacle d’une façon différente de d’habitude ! J’aime toujours explorer de nouveaux chemins, essayer des choses, me lancer des défis… Je n’aime pas ce qui est figé et qu’on considère comme « établi » d’office. Je n’aime pas les conventions quelles qu’elles soient. J’aime profiter pleinement de notre liberté et de notre créativité à tous. J’aime surprendre et me surprendre. J’aime remettre toujours tout en question ! C’est presque une hygiène de vie. On se sclérose si vite ! Il faut sans cesse se réinventer, sinon ça ne vaut pas le coup d’être en vie. Enfin… selon moi ! Quant à la routine de cartes en elle-même, je l’ai imaginée il y a bien longtemps, en m’inspirant d’un tour classique dont le nom m’échappe pour le moment et qui utilisait deux jeux au départ. Là j’ai fait en sorte de n’en utiliser qu’un seul pour lui donner encore plus d’ampleur !
« 2. Un concept que je trouve excellent, très subtile, qui ouvre d’autres portes je pense : c’est le passage avec la tranche de salami/saucisson. Quand vous parlez de supra normal. « les gens n’auront pas envie d’y toucher, et moi non plus ». C’est peut être un détail pour certains, mais je trouve ça très intéressant. Mais une petite question par rapport à ça : pourquoi par la suite prendre la saucisse avec la main ? Et pour aller légèrement plus loin encore, si vous ne voulez pas non plus la prendre directement, n’est-il pas illogique qu’elle apparaisse sur le tapis, au risque de le salir ? Mais bon, c’est déjà du 9ème degré, c’est histoire de pinailler au 10ème degré (lol). »
Tu réfléchis et c’est très bien. Tu m’obliges à me dévoiler un peu plus… Je pense que personne ne va s’en plaindre ! La phase « saucisson » est construite d’une manière bien précise, même si je n’ai jamais songé à l’analyser précisément avant ta question. Il y a tout d’abord l’apparition brutale de la tranche de saucisson qui est là pour saisir le public. Ensuite, le fait d’utiliser un « outil » pour prendre la tranche de saucisson appuie le côté impossible de cette apparition. Par cette action, je suggère en effet que cela ne peut être moi qui l’y ai mise, puisque je prends une pince pour l’enlever… Tout cela ne se dit pas ni au premier ni au second degré, mais se VOIT… Rien de tel pour faire passer l’information, avant qu’elle soit détournée par le rire du public sur cette image cocasse. Sans compter le rôle parallèle de l’assiette et de la serviette qui renforce l’absurdité contrôlée de cette situation ! Ensuite, le personnage que j’incarne disserte avec légèreté sur la « Biennale de la saucisse », il joue avec la tranche de saucisson… N’importe quoi !! C’est un instant que je trouve merveilleux, car, nous sommes parvenus à un tel état de folie générale, que toutes les choses les plus absurdes paraissent normales. Quel bonheur ce moment où tout bascule ! Comme un point d’orgue, le public se lâche enfin complètement. Il décolle avec moi et c’est ce que je voulais : qu’il s’évade, qu’il oublie un peu la réalité trop réelle !
« 3. Une question assez difficile à formuler, j’espère que je saurais être compréhensible dans mes propos… Vous arrivez à faire des routines « complexes », plusieurs degré de lecture ; une routine construite techniquement pour surprendre les profanes et les magiciens en même temps ; des routines longues avec énormément d’effet ; des climax, surclimax et sur sur climax (!)… La plupart des magiciens auraient perdu la majorité de leur audience. Alors que vous, c’est tout le contraire. Alors que l’on parle souvent « d’effet simple à suivre pour le spectateur pour ne pas les perdre » ; vous vous faites des choses longues, qui semblent à première vue assez difficile à suivre alors que c’est complètement l’inverse en « live ». J’ai du mal à analyser le pourquoi du comment. »
Je crois que je comprends ce que tu veux dire. Le magicien classique aime se retrouver tranquille dans ce qu’il entreprend, comme tout Etre humain d’ailleurs. Naturellement on va tous vers ce qui nous rassure et on craint l’inconnu. Mais dès lors qu’on veut aller un peu de l’avant et dépasser justement notre condition de pauvre humain peureux et limité, on apprend à se méfier des conventions au sens large et on voit les choses différemment. En l’occurrence en magie, la tendance actuelle va en effet vers des tours très simples à suivre, voire des effets ultra simple de type dit « flash » (de quelques secondes, voire une seconde !). Mais personnellement, je crois davantage dans le concept de l’artiste (magicien ou autre d’ailleurs) qui transporte son public dans son univers particulier. Cet univers peut être totalement délirant et absurde, si l’artiste est talentueux, il peut emmener le spectateur au bout du monde et c’est ce qu’on lui demande non ?
« Dans le même esprit, il y a un vocabulaire « Duvivier », des formules qui vous sont propres (exemple : « au débotté »). Est-ce que tout comme la gestuelle – vous avez mis un an a trouvé « votre position de repos goshmanienne » – vous travaillez également sur la façon de vous exprimer, les mots que vous utilisez. Ou alors ce langage vous est naturel ? »
Sache que j’ai TOUT travaillé. Que ce soit mon langage, mon comportement, ma gestuelle… Tout peut paraître naturel, mais tout est fabriqué et ensuite culotté comme une vieille pipe pour donner la sensation que tout est magique !
Superbe analyse, tellement subtile…. C’est ce.qu’on peut appeler avoir dugenie…. Du pure Duvivier,bravo !
Merci d’avoir pris le temps de me répondre, et d’être entré dans les détails.
Concernant votre personnage, c’est peut être là que j’apprends le plus en vous regardant travailler ! Passer d’une étape « faiseur de tour » à un véritable personnage où tout est millimétré, calibré, sous contrôle.
C’est certainement la partie la plus délicate : se trouver ; accepter sa personnalité ; la façonner, et l’assumer devant le public. Il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir !
J’ai hâte de voir votre spectacle « le hasard c’est moi » le 20 janvier.
Cordialement,
Loïc.