Pour commencer je plante le décor du tour qui est fonction justement du cours de ma prestation globale.
Je veux dire par exemple que si ce tour est mon premier tour et que ma prestation totale ne doit en principe pas durer plus de 5 à 7 mn (!!!), ce premier tour risque d’être le seul ou pas loin… Je vais devoir alors sélectionner uniquement deux ou trois effets (mais attention, sans oublier de respecter un équilibre dans les familles d’effets, ce qui veut dire que je choisirai deux ou trois familles d’effets différentes) et hop ma prestation durera plutôt presque 10mn !
Dans le cas d’une prestation de close up de table en table, si on compte 10 mn par table pour 10 tables (situation très courante), cela représente une prestation de presque deux heures (en prévoyant le battement nécessaire pour se rendre d’une table à l’autre). Pour faire respirer mon intervention dans ce type de situation, j’ai trouvé une nouvelle piste plutôt intéressante ces dernières années : je construis un spectacle global constitué d’un fil rouge assez puissant pour commencer mon show à la première table et le finir à la dernière !
Cela implique de choisir uniquement des tours différents avec une vraie colonne vertébrale tout au long du spectacle…
On pourra se dire que la chose est inutile mais il n’en est rien.
Souvent nous avons à intervenir pour le compte d’une société, avec des participants qui se connaissent bien. Si votre show de table en table est cohérent, les gens commenceront à parler entre eux et iront jusqu’à vous suivre d’une table à l’autre. Pas tous évidemment, mais un certain nombre… ce qui créera immanquablement un bazar ambiant des plus appréciés. En effet, les spectateurs se pressant pour voir la suite du spectacle d’une table à une autre, créeront un véritable événement dans l’événement. Les organisateurs adorent toujours voir leur soirée éclater de toutes parts !
Quand je construis une routine je m’occupe tout de suite de l’ensemble des effets qui la constitueront.
Si vous avez du mal à imaginer la routine dans son ensemble jusqu’à son final compris, c’est que votre scénario n’est pas encore un scénario. Il s’agit juste d’une idée, donc d’une histoire, mais cette histoire n’est pas scénarisée. Alors vous manquez d’une armature pour conclure (surtout si vous vendez votre histoire comme un mauvais raconteur d’histoires en donnant la chute en cours de route !!!).
Entrons dans le processus de création d’une routine.
Je commence par choisir un effet ou un début d’histoire ou une technique ou un objet insolite…
Prenons l’exemple d’un objet insolite : le gobelet plein qui a donné naissance à la routine du même nom, jouée dans ma série de spectacles « Intimiste ».
Je possède ce gobelet très rare, fabriqué en marqueterie, dont il n’existe que 8 ou 10 pièces fabriquées dans le monde.
Ceci est le début du texte de la routine que j’ai inventée mais ce sont des faits réels !
Le départ de ma routine consiste donc uniquement à dire que je possède cet objet rare et que j’ai envie de le montrer.
Je sens un bon début très structuré, prometteur quoi ! Mais ensuite, me dis-je, que vais-je faire de cela ?
Je regarde alors avec attention la routine du gobelet plein qui existe de Shigeo Takagi et j’arrive à la conclusion (toute personnelle, heureusement !) que toutes les pérégrinations du monsieur sont faites uniquement pour masquer l’idée que le gobelet est plein. Je pense par contre que cet effet, tout en étant génial, ne fera pas 10mn de spectacle. Une minute tout au plus. Pourtant je ressens qu’un sketch est en train de naître et qu’il peut faire dix minutes.
Alors je travaille sur la suite des effets possibles. Le gobelet va pouvoir s’ouvrir par son milieu comme si on le cassait en plein centre… On pourra mettre une grosse balle dans l’intérieur du gobelet… Je vais donc devoir faire grossir la balle pour qu’elle se retrouve dans le gobelet… Mais si le couvercle du gobelet était plein aussi ? Si la grosse balle devenait pleine aussi ?
Je tiens alors une routine de base très solide et comme mon histoire était riche, il ne me reste plus qu’à faire vivre ensemble tout ce petit monde.
Voilà la base de ma recherche.
Plus tard je travaillerai sur la mise en scène de la routine en continuant d’étendre le champ de création : le gobelet sortira d’un sac… Et si ce sac était cousu (plein en fait comme le gobelet etc. !!!), ce serait intéressant, non ? Voilà ma routine presque entière.
Et si vous avez vu ce sketch en « live », vous constaterez que je n’ai pas été exhaustif dans le descriptif du processus créatif. En effet je n’ai pas parlé de tous ces liens entre les effets qui me sont venus pour construire définitivement cette routine que je trouve enfin » tenir la route » telle qu’elle est.
Avec toute mon amitié
Dominique DUVIVIER
C’est un plaisir de lire votre texte intéressant et instructif.
Merci et bonne soirée (ou journée).
Bonjour.
Encore une fois, vous nous permettez d’explorer à vos cotés un des aspects fondamentaux de la construction d’un spectacle ( à travers ici la routine … ).
Le fait de pouvoir comprendre votre cheminement tout au long de la création du tour nous montre bien toute la complexité de la chose, et par conséquence, l’importance que cela revêt.
Car au final, nous ne vivrons même plus un tour de magie, mais une immersion dans un petit rêve collectif et éveillé.
Merci de ces moments de partage et excellente continuation !
Amitiés.