Cette interview a été réalisée par Dorian Chauvet, grand neurochirurgien, dans le cadre de son livre sur « La main intelligente », qui recueille le témoignage écrit de nombreux artistes, artisans et professionnels divers se servant de leurs mains. Notamment un cuisinier (Thierry Marx), un pianiste (Alexandre Tharaud) mais aussi plusieurs Meilleurs Ouvriers de France : graveur, verrier, calligraphiste, un coutelier…
Comment vois-tu le binôme cerveau/main dans ta pratique ? Physiologiquement l’un ne va pas sans l’autre, mais perçois-tu une forme d’autonomie de tes mains pendant certains numéros ? Dirais-tu que tes mains sont « intelligentes » ? C’est avec le temps qu’on peut rendre sa main « intelligente ». La main au départ est comme atrophiée, uniquement habituée à ce qu’on lui a demandé de faire. Elle est très “gauche” si je puis dire. Mais petit à petit on la forge, on l’éduque, on la rend autonome. La main devient donc intelligente à mes yeux et elle sait des choses que mon cerveau ne sait pas. Bien sûr on sait que c’est le cerveau qui l’a façonnée, mais il n’empêche qu’au bout d’un moment la main sait immédiatement des choses que notre propre cerveau a oubliées. Et aussi expertes que soient devenues nos mains dans notre domaine de prédilection, elles redeviennent très malhabiles quand on apprend un nouvel exercice. Ce que je trouve d’ailleurs génial, car cela nous oblige à rester d’éternels débutants (rien de mieux pour garder son discernement et continuer à évoluer). Cela prouve le côté éphémère du concept de « main intelligente » que tu étudies : d’un côté tes doigts, tes mains et tout ton corps sont capables de faire des choses incroyables que peu d’autres peuvent reproduire - ce qui est très valorisant - et d’un autre côté, l’apprentissage est permanent si l’on invente des nouvelles techniques.