Cette interview a été réalisée par Dorian Chauvet, grand neurochirurgien, dans le cadre de son livre sur « La main intelligente », qui recueille le témoignage écrit de nombreux artistes, artisans et professionnels divers se servant de leurs mains. Notamment un cuisinier (Thierry Marx), un pianiste (Alexandre Tharaud) mais aussi plusieurs Meilleurs Ouvriers de France : graveur, verrier, calligraphiste, un coutelier…
Aujourd’hui tu es très impliqué dans l’enseignement de la magie, comment apprends-tu la gestuelle à tes élèves ? T’est-il facile de retranscrire les sensations qu’il faut avoir pour effectuer telle ou telle manœuvre ? Je pense que le débutant a beaucoup de mal à éduquer sa main, car il ne pense qu’à la dextérité. Or il y a plein d’informations à intégrer et toute une gestuelle corporelle globale à maîtriser pour créer l’harmonie finale d’un tour de magie. Par exemple, dans les lappings (technique qui consiste à faire tomber l’objet sur ses genoux pour le faire disparaître), tout est fait par les mains évidemment, mais il y a tout un cheminement mental - presque psychologique - et toute une démarche corporelle pour obtenir le bon effet. Si tu fais les bons mouvements avec le bon tempo, la manœuvre est complètement invisible. Et non il ne m’est pas toujours facile de retranscrire ceci aux plus jeunes. Par exemple, un geste technique, même relativement simple (comme un mélange d’un jeu sur table ou un faux-dépôt de pièce dans ma main) ne prend que quelques secondes. Mais si je dois décomposer ce geste pour qu’un élève puisse le reproduire, il faudra sûrement dix à vingt pages d’explications, car le moindre détail compte. Donc il y a comme une double problématique : celle du geste efficace, qui fait forcément appel à une dextérité parfois difficile à acquérir, et celle de « l’écriture globale » du tour, qui sollicite une dimension plus artistique que technique. Et ce n’est pas forcément la rapidité du geste qui va permettre d’obtenir l’effet ? Non, au contraire c’est la lenteur ! Cela fait partie des choses que j’ai essayé d’amener à la magie contemporaine. Contrairement à un magicien-manipulateur-m ’as-tu-vu qui va faire tout vite, donc axé plutôt sur la performance, moi je pense que plus on est lent, dans une forme de posture impassible où rien ne transparaît, plus c’est fort.